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Bioéthique. Jean Matos : "PMA, quels enjeux pour notre société ?"

Mardi 10 mars, le consultant et formateur en éthique médicale Jean Matos est venu donner une conférence à l’invitation de la Pastorale des familles du diocèse de Saint-Brieuc au lycée du Sacré-Cœur à Saint-Brieuc, sur le thème « Parlons bioéthique : PMA, quels enjeux pour notre société ? »

« Nous avons choisi le thème de la PMA car il est l’un des sujets les plus importants de la loi de bioéthique », explique d’emblée Jean Matos. Chargé de mission au diocèse de Rennes, ce dernier donne des cours de bioéthique au séminaire Saint-Yves, ainsi que dans des instituts supérieurs de formation, intervenant également dans la formation professionnelle continue au sein de CHU et de cliniques. « Je côtoie de très près les équipes de soin dans les réalités qui sont les leurs. Plus on s’approche de la réalité et plus on est prudent à ce qu’on dit », souligne-t-il. Jean Matos reconnaît que le sujet de la procréation médicalement assistée (PMA) a clivé la France ; l’être humain s’inscrivant par nature dans une pensée binaire, incapable de se sortir d’un choix « noir ou blanc », « pour ou contre ». « Tenir une position coûte que coûte, ça n’est pas possible en bioéthique car cela mène au clash. C’est comme ça que les débats deviennent stériles et épuisants. Nous sommes souvent incapables d’écouter l’autre, d’écouter vraiment l’autre », a-t-il rappelé. « La vérité existe mais nous avons toute une vie pour la chercher. En bioéthique, nous sommes face à quelque chose de nuancé et de complexe. Pour une même réalité, il y a des points de vue différents. Plus je côtoie d’autres points de vue, plus je suis moi-même dans la nuance ». Jean Matos a appelé l’assemblée à avoir « le courage de quitter [sa] zone de confort ». « Oui aux convictions mais attention aux certitudes ! »

Quel est l’objet premier de la PMA, telle qu’elle existe aujourd’hui ? « Il s’agit de remédier à l’infertilité d’un couple mais aussi d’éviter la transmission à un enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité, comprenez une maladie lourdement invalidante », a-t-il rappelé les bases. « Ceux qui disent que la PMA est pour les couples qui ont le désir de l’enfant parfait, je leur dis ‘vous vous trompez’. C’est avant tout pour les couples qui ont le désir d’enfant tout court », a martelé Jean Matos. « L’assistance médicale à la procréation s’adresse, comme cela existe actuellement, aux couples hétérosexuels dont les deux partenaires sont vivants. Il s’agit là afin d’éviter de créer des orphelins par la transmission d’ovocyte post-mortem. Le couple doit être en âge de procréer et présenter un caractère pathologique de l’infertilité médicalement diagnostiqué. » Avec l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, Jean Matos a souligné que « nous ne parlons plus d’ ‘infertilité médicale’ mais d’ ’infertilité sociale’. En termes médicaux, l’ ‘infertilité sociale’ n’existe pas. Un couple de femmes ne peut pas procréer non pas à cause d’une infertilité mais à cause d’une impossibilité. Tout comme l’euthanasie passive n’existe pas non plus. L’euthanasie est par définition active, c’est un acte ».

Avis du comité consultatif national d’éthique (25/09/2018) : Le CCNE considère que l’ouverture de l’AMP à des personnes sans stérilité peut se concevoir, notamment pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. Cette souffrance doit être prise en compte car le recours à une technique déjà autorisée par ailleurs n’implique pas de violence dans les relations entre les différents acteurs.

La procréation médicalement assistée soulève des questions éthiques, d’abord à travers la souffrance liée à la stérilité. « Nous savons aujourd’hui que la stérilité va encore augmenter en France à cause des rythmes de vie, du stress, de la pollution… Cela devrait inviter les pouvoirs publics à investir dans la prévention la recherche de mesures préventives », a appuyé Jean Matos. « La PMA interroge aussi sur la question des embryons surnuméraires qui permettent de maximiser les chances d’enfanter plutôt que de retenter à partir d’un seul embryon » ; interpellant également l’assemblée sur le devenir des embryons non implantés dans l’utérus de la femme, congelés dans leur hypothétique utilisation… ou destruction. « Il y a des gens qui sont contre le rôle de la technique. Est-elle là pour assister ou remplacer la nature ? », a-t-il questionné. « Parfois, on peut se dire ‘on verra ça plus tard !’ On le voit déjà avec l’écologie ! Le fait de reporter des prises de décision fait qu’il est déjà trop tard. Nous devons nous poser les bonnes questions : est-ce techniquement faisable ? Si oui, est-ce éthique ? Que fait-on du pouvoir qui nous est donné ? »

En France, alors que l’anonymat est assuré aux individus qui font don de leurs gamètes, « plus de 30.000 personnes nées à partir de ces dons vivent derrière un voile, un secret. Ils savent que le nom de leur géniteur est inscrit dans un dossier, mais un dossier qui est inaccessible », rappelle Jean Matos. « Aussi, dans le cadre de l’adoption, il est normal que la personne adoptée – même si elle est aimée par ses parents adoptifs – recherchent ses origines. Avec la loi de bioéthique, les critères vont évoluer par la levée du voile de l’anonymat », laissa-t-il planer le risque d’une sévère baisse des dons de gamètes. Les tests génétiques dits « récréatifs » permettent d’accéder à ses origines via l’achat d’un kit en ligne sur des sites étrangers. Dans l’Hexagone, il est interdit de réaliser un test génétique sans ordonnance médicale, injonction judiciaire ou projet de recherche strictement défini. Pourtant 100.000 à 200.000 personnes auraient recours à ce genre de tests chaque année via les services d’entreprises privées étrangères.

En France, la bioéthique est encadrée par la loi du 7 juillet 2011, mais aussi d’un comité consultatif national d’éthique (CCNE), premier pays à s’en doté d’un. La vocation du CCNE est de soulever les enjeux des avancées de la connaissance scientifique dans le domaine du vivant et de susciter une réflexion de la part de la société. Le 23 février 1983, après les Assises de recherche, le Président de la République François Mitterrand crée par décret, le premier Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Si les questions posées par l’Assistance Médicale à la Procréation et l’expérimentation sur l’homme sont parmi les premiers sujets abordés par le CCNE, sa réflexion se poursuit sur ces sujets et s’étend très vite à d’autres thèmes tels que la recherche sur l’embryon humain, l’accès à l’information génétique, les neurosciences, le statut des éléments du corps humain, la biodiversité.

« Parle-t-on de droit à l’enfant ou de droit de l’enfant ? », s’est interrogé Jean Matos. « Dans le droit à l’enfant, celui-ci est assimilé à un objet. Il n’y a pas de droit à l’enfant, cet argument ne tient pas la route. Dans le droit de l’enfant, ce dernier devient un sujet de droit ». Dans le cadre des échanges au sujet de la gestation pour autrui, « le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas de ‘GPA éthique’ car on réduisait le corps des femmes porteuses à une chose, par la location de leur utérus », a-t-il souligné, rappelant également les conséquences de la GPA sur le lien profond tissé entre l’enfant in utero et la mère biologique. « Ce lien est parfaitement démontré scientifiquement et, qu’on le veuille ou non, la procédure de la GPA va rompre ce lien. » Toujours très mesuré dans ses propos durant la conférence, Jean Matos a donné son avis concernant l’altérité sexuelle au sein du couple, qui était pour lui « importante éthiquement parlant ». « Je ne remets pas en cause l’amour que des parents, quel que soit leur orientation sexuelle, peuvent porter à leur enfant. Je voudrais simplement qu’on me démontre que l’altérité sexuelle peut être remplacée. Ceci n’est pas une question religieuse mais philosophique. »

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