Retour sur le Festival de l'écologie 2024 à l'Abbaye de Saint-Jacut
« Imaginer les bifurcations – Réécrire les solidarités », c’est le sujet qui a rassemblé près de 200 personnes à l’Abbaye de Saint-Jacut-de-la- Mer pour la troisième édition du Festival de l’écologie du 11 au 13 octobre 2024. Annie Le Mercier, référente diocésaine pour le mouvement « Chrétiens dans le monde rural » nous a fait parvenir ce compte-rendu, aidée par Jean Jo et Gwenaëlle.
Intervention de Damien Carême, maire de Grande Synthe de 2001 à 2019
En plénière d’ouverture, Damien Carême, maire de Grande Synthe de 2001 à 2019, a retracé quelques étapes du cheminement écologique de cette petite cité industrielle de près de 20 000 hab.) proche de Dunkerque. « Arrivé dans le contexte tendu d’une forte récession, il a fallu attaquer sur tous les fronts, même si cela s’est fait progressivement :
- – Des logements d’après-guerre à démolir car défectueux, d’autres à isoler. Les passer en basse consommation voire même en consommation passive a fait gagner sur tous les tableaux : en confort de vie, en budget énergie, et pour l’environnement.
- – Mobilité : ça n’a pas été facile de faire accepter la gratuité des Mais on a tenu, et pour cela on a rétabli leur fiabilité horaire, leur proximité. Les gens les ont utilisés, passant souvent à une seule voiture par ménage au lieu de deux…
- – Pour passer au 100% bio à la cantine, il y a eu un élément déclencheur : le film « nos enfants nous accuseront » ; ça coûte plus cher, mais on a diminué les rations de viande, lutté contre le gaspillage, mis en place des périmètres maraîchers…
- – Pour les dépenses énergies, la récupération de la chaleur fatale (celle qui part dans l’atmosphère) de l’usine ArcelorMittal a permis de chauffer des établissements publics. On a reconsidéré l’éclairage public, en diminuant le nombre de points lumineux, les horaires, le passage aux lampes
L’argent économisé a été utilisé pour mettre en place un revenu minimum social garanti pour permettre aux bénéficiaires des minimas sociaux de sortir la tête de l’eau. D’autres actions ont été menées pour une écologie joyeuse qui associe la population et favorise les transmissions de savoirs tout en créant du lien : création d’une outil-thèque (prêt d’outils et de matériel) devenue repair-café, ainsi que l’installation d’un atelier participatif autour de machines à bois dans une ancienne école. On a fait du porte à porte pour implanter des jardins au pied des immeubles. Grande Synthe a obtenu le label « villes en transition », et « capitale française de la biodiversité ». Les premiers immigrés sont arrivés en 2002, puis une deuxième vague en 2008. Devant leurs conditions de vie indignes il a fallu construire un camp (en 2015) avec des installations sanitaires. Il n’y a pas eu de réactions hostiles de la population. Le bras de fer a été avec l’État. Reprenant la parole d’une habitante : « Avant, Grande Synthe était capitale de la biodiversité, aujourd’hui on est capitale de l’humanité ! ». Au point de vue humain, c’est la plus belle période de ma vie, rencontrer toutes sortes de gens, d’horizons culturels différents.
"Maires engagez-vous, c'est le plus beau des métiers !"
Et pourtant Damien Carême a laissé la place, quand il est devenu député européen en 2019. « Au début, il y a eu un élan avec les marches pour le climat, le green deal. Mais depuis la guerre en Ukraine, la pression des lobbies regagne du terrain, et avec Viktor Orban à la présidence, ça va être très dur… On est loin de la bifurcation écologique pour ce mandat-ci. Quelles résistances au changement ? Les médias (Cnews, BFM…) contrôlés par les multinationales, avec l’imaginaire de développement qu’ils véhiculent ! [Mon ennemi c’est la finance] et ces grandes sociétés mondiales qui font bloc et manipulent nos gouvernements en imposant le capitalisme et la culture de la réussite comme modèle. Aujourd’hui la simultanéité des crises que nous traversons (financière, environnementale…) concerne, au-delà de la France et de l’Europe, la planète entière. La population changerait plus vite que les gouvernants, car on peut bien vivre sobrement. J’étais adepte de la croissance verte, mais aujourd’hui il faut autre chose … 70% de la lutte contre le changement climatique se fait au niveau local ! »
Le festival de l'écologie proposait de multiples
Le festival de l’écologie proposait de multiples découvertes : l’écrin naturel du lieu de Saint-Jacut, les « petits pas » de la démarche environnementale de l’Abbaye (jardin pédagogique, composteur, l’appel à l’implication de tous sur les questions de déchets). Un groupe a pu rencontrer des producteurs qui fournissent l’Abbaye (légumes, viande…).
C’était l’occasion pour le CMR (partenaire dans l’organisation du festival) de se dire de diverses façons. Nolwenn, administratrice nationale, a présenté le mouvement. Des échanges informels avec un public qui nous connaît peu, sur ces 3 jours, nous ont permis de compléter cette présentation… Nous étions une vingtaine de membres. Gérard (CMR d’Ille et Vilaine) a accompagné l’atelier « Quelles solidarités pour permettre l’accès au métier d’agriculteur et d’agricultrice ? », animé par Véronique Lucas, sociologue, chercheuse à l’INRAE de Rennes : comprendre comment l’accès à la terre agricole est difficile pour les « bifurqueurs » qui aspirent à devenir agriculteurs en pratiquant de façon plus écologique.
Annie et Margot ont animé un atelier « L’eau en partage : cultiver le dialogue », sur la base d’un travail mené par le réseau agriculture/alimentation du CMR. Nous avons partagé quelques connaissances d’hydrologie « qui déplacent », des témoignages : un élu confronté aux perturbations hydriques, un agriculteur impliqué dans des réserves collectives, un citoyen économe en eau et des repères pour prendre de la hauteur : l’eau bien commun, les encycliques… En petits groupes les participants ont échangé sur deux questions : Que faire pour cultiver l’eau ? Que faire pour cultiver le dialogue ? Parmi la dizaine ateliers proposés, certains plus techniques, d’autres plus spirituels… Il y avait aussi « Habiter autrement », « La transition écologique pour tous » avec ATD-Quart Monde.
Paroles d'intervenants glanées lors des tables rondes
« Le capitalisme mondialisé crée un monde uniformisé mais divisé (renforcement des frontières…). Le raidissement autoritaire de nos états produit un sentiment de fin du monde, d’univers apocalyptique. Mais le christianisme pense un regard messianique ». A la question : comment la foi peut nourrir un univers alternatif ? Il répond : « Avant d’imaginer le futur, il faut conscientiser que dans le présent nous sommes bel et bien engagés dans ce capitalisme, et bifurquer c’est se dégager de ce lien nocif. Ensuite, imaginer dans l’espace public des lieux d’expressions et d’actions inspirées par la foi. Le religieux concerne aussi la vie, le monde commun. Réinsufflons une inspiration, un souffle spirituel, à la politique. Enfin, imaginer des institutions capables de construire un monde universalisé, une cosmopolitique contraire du souverainisme… »
« Je ne pense pas que la politique actuelle soit en capacité de penser la bifurcation. La rupture fait peur, mais est nécessaire. Il y a une forte attente d’autre chose chez les jeunes… En 2009, j’ai interdit les pesticides sur la commune de St Nolf. En tant que maire, j’ai eu beaucoup de critiques (il y avait la notion du propre). Elu sénateur, j’ai participé à une mission d’information sur les pesticides avec des gens très différents (agriculteurs, médecins, scientifiques…). Celle-ci a conduit à des recommandations et un projet de loi visant l’interdiction de leur emploi par les collectivités puis dans les jardins familiaux. J’ai dû harceler les sénateurs pour avoir la majorité, insister pour obtenir un vote en conscience, au-delà des pressions des lobbies sur les partis… La politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire… Il faut réhabiliter la politique du rural. La métropolisation a affaibli les territoires. »
Florence Marie Jégoux évoque la recherche de sécurité intérieure à l’encontre des peurs attisées par les médias dominants de cette société traumatisée et traumatisante. Elle invite à passer de références externes à des références internes. « On a deux moteurs : ce qu’on veut fuir, et ce vers quoi on veut aller ». « Il y a une pandémie du sens au travail. Mais la militance, c’est aussi du travail, et aujourd’hui il faut prévenir l’épuisement militant »; pour agir, il faut retrouver son énergie sans s’épuiser.
« L’acte créateur comme pouvoir de bifurquer ! Depuis longtemps je cherche ma voie, qui je suis ». « Etre chrétien, ce n’est pas croire ; c’est expérimenter un espace branché à la source en soi. Alors ça éveille des intuitions. Je vais bouger à l’intérieur, découvrir ma vocation ». Être à sa place transforme le monde. Le vivant a une intelligence pour transformer le monde. Sois fils du vivant ! Il faut décoréler la valeur économique de la valeur sociale et retrouver une multiplicité des récits contre un récit uniformisé.
Face au « multilatéralisme d’en haut », alliances entre les états , elle revendique le « multilatéralisme d’en bas », c’est à dire des alliances entre les sociétés civiles. En référence à Laudato Deum il s’agit de promouvoir d’autres traités internationaux, lois et politiques publiques, par une dynamique efficace de mise en réseau. « Au CCFD-Terre Solidaire, nous connaissons et collaborons déjà avec les sociétés civiles à la promotion de l’agroécologie paysanne et solidaire, à des plaidoyers (comme la lutte contre l’extractivisme qui dépossède de leurs droits les peuples autochtones), au travail autour des COP. Nous avons cofondé la dynamique des villes accueillantes, et, avec des députés, la coalition pour la loi sur le devoir de vigilance passée en France en 2017, qui acte la responsabilité sociale des entreprises . Cette loi a été suivie d’une directive européenne en 2024. Ce qui est en projet, c’est une coalition mondiale des sociétés civiles pour une coopération fiscale internationale. Car 40% des bénéfices nationaux échappent aux états. Le CCFD-TS plaide pour des systèmes fiscaux progressifs. Tout cela prend du temps, mais il y a une longue liste de vraies avancées, alors il ne faut pas se décourager. Il y a des possibles sur les territoires, alors c’est possible aussi au niveau international !
Caroline Ingrand-Hoffet commence par exprimer une interrogation autant qu’une tristesse : « Où sont les Églises et les ecclésiastiques ? (sur les sujets d’écologie) ». Une première solidarité donc à réécrire, entre les Églises et les milieux écologistes chrétiens. « Accompagner des militants d’une ZAD (défense d’une forêt qui doit disparaître pour construire une autoroute) est légitime pour l’Église luthéro-réformée, même si celle-ci ne veut pas se positionner officiellement ». Autres solidarités à réécrire : entre Églises (dans ma paroisse, nous partageons des murs communs avec l’Église catholique, et ce n’est pas simple), et avec tous ceux qui n’entrent plus dans les églises, même si c’est dé-sécurisant de sortir de l’église pour aller à la rencontre… ». En m’engageant dans la lutte contre les projets de Total Énergie en Tanzanie-Ouganda en inter-religion, j’ai senti l’action de l’Esprit qui nous unissait, et les solidarités avec là-bas. Dans les milieux militants, notre présence au nom de « la source qu’on porte » est bien acceptée.
Cécile Guéguen, Après des études à Science Po Bordeaux, elle a choisi de s’engager dans un métier « écologiquement juste ». Elle travaille au développement du réseau ETRE : des écoles de la transition écologique pour les décrocheurs. 100 000 jeunes sortent du système scolaire chaque année, souvent vulnérables, en perte de confiance. Ils arrivent par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), les missions locales… Ils ont parfois besoin d’accompagnement psychologique, social pour lever les freins. Ils sont souvent seuls, et il faut les amener vers des liens. L’objectif du réseau est de les former professionnellement aux métiers de la transition écologique, qui sont en croissance mais ne trouvent pas preneurs (peu connus, peu attractifs, parfois à raison…). La pédagogie est active, par implication concrète en ateliers, chantiers. Il s’agit d’apprendre à « faire », car on a formé beaucoup de « penseurs », qui se découragent parce que la transition est longue à venir… Entre formateurs et jeunes, il y a des préjugés à déconstruire de part et d’autre (cliché du jeune qui sort de prison, cliché de l’écolo « bobo »). Aujourd’hui il y a 25 écoles de la transition en France, les premières nées en Occitanie. L’objectif est d’avoir une école ETRE par département (un projet est déjà en route à Pleumeur-Bodou). Elles sont portées par des collectifs locaux, et s’adaptent aux réalités locales pour leurs activités.
Conclusion
Dernières paroles émises lors des échanges : il faut battre en brèche le nouveau vocabulaire contre l’écologie, comme le mot « éco-terroriste ». Au nom de la soi-disant sécurité les autorités internationales endossent cette mentalité et finissent par voter des lois à l’encontre des droits que les forces de l’ordre sont chargées d’appliquer. Les seuls remparts qui existent encore sont les juridictions suprêmes, mais jusqu’à quand ? Les exécutifs et les parlements cherchent à réduire l’indépendance de ces juridictions. Dans une manif, on n’est pas tous égaux, y compris face aux forces de l’ordre. Une participante ajoute : « J’ai 50 ans, je veux rester solidaire des jeunes et pas seulement dire : maintenant, c’est à vous… même si j’avoue que dans les manifs j’ai peur. Les jeunes se sentent soutenus par l’implication de leurs aînés dans les luttes. »
Une célébration eucharistique est venue clore ce festival de l’écologie, actant une certaine solidarité entre Églises, puisque le prêtre a laissé place à la pasteure pour la lecture de l’Évangile et l’homélie.
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