La fête de la Toussaint, célébrée dans toutes les paroisses
Comme son nom l’indique, la Toussaint est la fête de tous les saints. Chaque 1er novembre, l’Église honore ainsi la foule innombrable de ceux et celles qui ont été de vivants et lumineux témoins du Christ. Si un certain nombre d’entre eux ont été officiellement reconnus, à l’issue d’une procédure de canonisation, l’Église sait bien que beaucoup d’autres ont également vécu dans la fidélité à l’Évangile et au service de tous. C’est pourquoi, en ce jour de la Toussaint, les chrétiens célèbrent tous les saints, connus ou inconnus. Cette fête est donc l’occasion de rappeler que tous les hommes sont appelés à la sainteté.
La Toussaint se célèbre le 1er novembre, la veille du jour de la commémoration des fidèles défunts, le 2 novembre, où l’on prie pour les morts. La Toussaint est une fête joyeuse, c’est la fête de la communion des saints, c’est-à-dire de tous ceux, vivants ou morts, qui sont déjà réunis en Dieu par la foi.
Aussi, la sainteté n’est pas une voie réservée à une élite : elle concerne tous ceux et celles qui choisissent de mettre leurs pas dans ceux du Christ. Le pape Jean-Paul II nous l’a fait comprendre en béatifiant et canonisant un grand nombre de personnes, parmi lesquelles des figures aussi différentes que le Père Maximilien Kolbe, Edith Stein, Padre Pio ou Mère Térésa… La vie de ces saints constitue une véritable catéchèse, vivante et proche de nous. Elle nous montre la présence agissante de l’Esprit Saint parmi les hommes.
notre existence n’est pas la mort, c’est le Paradis ! L’apôtre Jean l’écrit :
« Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que
lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que
nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3, 2). Les saints, les amis de Dieu,
nous assurent que cette promesse ne déçoit pas. Au cours de
leur existence terrestre, en effet, ils ont vécu en communion profonde
avec Dieu. Sur le visage de leurs frères les plus petits et méprisés,
ils ont vu le visage de Dieu et, à présent, ils le contemplent face à face
dans sa beauté glorieuse.
Tous appelés à la sainteté
Les Saints fondateurs de Bretagne
L’actuelle Bretagne s’insérait autrefois dans un vaste ensemble appelé Armorique (en gros : « devant la mer », secteur maritime) comprenant aussi la Basse-Normandie, une partie des Pays de Loire. En 57 avant J.C., l’armée romaine envahit ce territoire. Peu à peu, les peuples de l’Armorique deviennent des « gallo-romains », des Gaulois marqués par la langue et la culture romaines. Leur religion, polythéiste, mêle dans un même panthéon les dieux gaulois et ceux des Romains. Les Romains tenteront d’éradiquer la religion des druides, soupçonnés d’entretenir un esprit de révolte contre l’occupant.
La religion chrétienne est encore peu implantée en Armorique mais elle suit d’une certaine manière l’occupation romaine, du moins dans les villes. On sait qu’il y eut un concile à Angers en 453, un autre à Vannes un peu plus tard. On connaît des noms d’évêques armoricains. En fait, le christianisme a commencé à s’implanter par l’est (Nantes, Rennes), certains soldats romains étant chrétiens.
L’immigration bretonne (venant de Bretagne insulaire donc) va accélérer cette implantation, car les Bretons étaient déjà christianisés. En Bretagne, en effet, sous la pression de divers envahisseurs, une partie de la population du sud-ouest de l’île (Devon, Cornouailles, Pays de Galles) va immigrer en Armorique : les relations maritimes existaient de longue date et la langue n’était pas un obstacle.
La trace la plus tangible de leur arrivée réside sans doute dans les toponymes (noms de lieux) qu’ils nous ont laissé. On y trouve, pour faire bref, des noms en Plou (du latin plebs = peuple, et par extension paroisse), associés à des noms de saints (ex. Ploubezre, la paroisse de Pierre) ; des noms en « Lan » (monastère, lieu consacré) : ex. Lanvellec, la paroisse (née du monastère) de Mélec ; des noms en « Tre » (lieu d’habitation) : ex. Trédaniel, le lieu se rapportant à Daniel. Cette immigration bretonne a concerné une majeure partie de la péninsule armoricaine, sa partie Ouest.
Ceux que nous appelons « saints bretons » sont des moines, qui ont accompagné et dirigé des émigrants bretons venant en Armorique. Beaucoup ont été en relation avec l’abbaye de Llaniltud (près de Cardiff), fondée par saint Iltud. Quelques-uns, tels Colomba et Brendan, sont d’origine irlandaise mais la plupart de ces saints venaient de (Grande) Bretagne. Les évêchés de petite Bretagne sont en fait des abbés, chefs de monastères.
Leur historicité est attestée par les lieux qui portent leurs noms. Cependant, leurs biographies comblent les nombreuses lacunes par des faits légendaires. Nous ne savons presque rien de Briac, Cado, Miliau, Fragan… car leurs vies ont été rédigées comme des légendes pieuses plusieurs siècles après leur présence en ce monde. De plus, leur sainteté n’est pas « officielle », la canonisation n’étant apparue que dans le second millénaire. Néanmoins, il existait une manière d’officialiser leur sainteté : plusieurs étaient inscrits au calendrier liturgique dans les litanies des saints au Moyen-âge. Tous n’ont pas bénéficié de cette mise en valeur mais l’Église de leur temps les a reconnus, et donc leur existence n’est pas légendaire.
Alors, que pouvons-nous en retenir ? Au moins ceci : que nos saints furent des évangélisateurs, des missionnaires, des fondateurs. Ils nous ont apporté le Christ ! Ils ont organisé le pays. Ils ont marqué les esprits au point que l’on a donné leurs noms à une quantité de cités. Retenons tout spécialement Gildas le Sage, « Gweltaz » en breton, fondateur de l’abbaye de Rhuys, l’un des plus populaires dans notre région. Et aussi saint Guénolé, « sant Gwennole », fondateur de l’abbaye de Landévennec, toujours bien vivante grâce à Dieu.
Sept saints ont joué un rôle majeur à l’époque de l’immigration bretonne : Pol Aurélien, Tugdual, Brieuc, Malo, Samson, Paterne et Corentin. On les nomme « saints fondateurs » parce que leurs noms sont liés à la fondation des sept évêchés créés à l’époque mérovingienne et carolingienne (du VIIème au Xème siècles). Ne sont pas concernés ici les évêchés de Rennes (saint Melaine) et de Nantes (saint Clair). Voici une brève présentation de ces saints. Ils sont parfois représentés une cathédrale à la main, symbole de leur mission épiscopale. On se souviendra que le mot breton « lann » signifie dans notre contexte « ermitage, église, monastère ». Rappelons aussi que le pèlerinages du Tro-Breizh (tour de Bretagne) se fait depuis de Moyen-âge en reliant les villes dont les sept saints fondateurs furent évêques.
- Saint Pol de Léon (Paulus Aurelianus, en breton « sant Paol »)
Saint Pol de Léon vivait au VIe siècle. Moine disciple de saint Iltud, il fonda son monastère d’abord à Ouessant (où son nom est donné à Lampaul – Lann-Paol, monastère de Paul), avant de fonder un autre Lampaul sur le continent. Finalement, il s’établit dans l’île de Batz : ce sera « son lieu de résidence favori ». À la demande des habitants, il accepta de devenir leur évêque. Sa légende en fait un vainqueur du dragon (« saurochtone ») symbole du mal. On le représente foulant du pied le monstre.
- Saint Tu(g)dual (sant Tudal, sant Tudual, sant Thual, sant Pabu – 1ère moitié du VIème siècle)
Venu du Devon, il est présenté comme un neveu du premier prince de la Domnonée, Riwal (« Domnonée » vient du nom « Devon »). Il a débarqué à Trépabu, non loin du Conquet, avant de fonder vers 550 le monastère de Tréguier (« Lann-Dreger »).
- Saint Brieuc (Sant Brieg)
C’est du Cardigan, au Pays de Galles, que nous est venu saint Brieuc (ou Brioc, en breton « Brieg »), sans doute fin du Vème – début du VIème siècle. La tradition en a fait un évêque du diocèse qui porte son nom mais les historiens en doutent.
- Saint Malo ou Maclou (sant Maloù)
Saint Malo serait originaire du Pays de Galles (comté de Gwent), où il reçut sa formation au monastère de Llancarvan. Il aurait rejoint sur l’île de Cézembre l’ermite Aaron (différent du personnage biblique). La population d’Alet (Saint-Servan) lui aurait demandé de devenir leur évêque. Il serait mort en 640. On le prie pour conjurer les calamités publiques.
- Saint Samson (sant Samzun– VIème s.)
Gallois et élève d’Iltud, Saint Samson est le fondateur de l’évêché de Dol. Cet évêché étant minuscule, on lui a donné des enclaves dans différentes partie de la Bretagne, notamment chez nous à Coadout, Magoar, Bréhat, Lanloup et quelques autres. On possède une Vie de ce saint datant du VIIème siècle, soit la plus ancienne vita de saints armoricains. Il eut affaire à une sorcière ou « théomacha », symbolisant les cultes païens ayant précédé le christianisme dans notre région.
- Saint Paterne (sant Patern ou Padarn)
Saint Paterne est considéré comme fondateur de l’évêché de Vannes, même si une communauté gallo-romaine l’avait probablement précédé. Comme il a plusieurs homonymes, il est difficile d’établir son histoire car plusieurs biographies ont pu interférer. On sait qu’il était présent au concile de Vannes vers 465. On le considère comme le premier évêque de Vannes. Il était armoricain (donc gallo-romain) mais vécut au monastère de LLanbadarn Fawr (« le grand monastère », « la grande église » de Patern) au Pays de Galles, passa peut-être par l’Irlande et s’installa en Cornouailles avant de revenir fonder un monastère à Vannes. Il vécut au Vème siècle.
- Saint Corentin (sant Kaourintin)
Dans l’Armorique ancienne, il dut y avoir un évêché dans un territoire correspondant à l’actuelle Cornouaille (bretonne). Il a pu se trouver à Vorgium (Carhaix), voire à Aquilonia (ancien nom de Locmaria qui est actuellement un faubourg de Quimper). Saint Corentin vint ensuite vers le IVème-Vème siècle (375-460 ?). Cet évêque de Quimper était invoqué pour guérir « les aveugles, les muets, les sourds, les boiteux et les possédés » (B. Rio). On le représente avec un poisson, en référence au saumon miraculeux dont fait état la légende de Corentin. Parfois, il tient une clé, celle de la ville d’Ys dont il partage la légende avec saint Guénolé.
S’intéresser à nos saints fondateurs, ce n’est pas seulement un acte culturel, c’est aussi une démarche de gratitude à l’égard de ceux qui sont « partis en mission », qui ont quitté leurs familles, leurs pays d’origine, pour « porter au monde la foi » comme le chante un cantique. Être missionnaire, c’est se souvenir de l’impératif exprimé par Jésus : « De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19). C’est se souvenir que notre foi nous a été donnée, apportée comme le bien le plus précieux qui soit. C’est garder en mémoire que quelque chose de fort s’est passé il y a une quinzaine de siècles : des vagues de migrants bretons conduits par des moines ont rencontré une population d’Armoricains, proches par leur culture, pour fonder un peuple de croyants dont nous sommes les héritiers. Que ferons-nous de cet héritage ? N’était-ce pas l’enjeu de notre récent synode diocésain ?
- Auteur
Jef Philippe, diacre, délégué épiscopal pour la foi et la culture bretonne
- Illustrations
Cartes postales gravées par Xavier de Langlais. Nous remercions les enfants de l’artiste qui en ont autorisé la publication sur ce site.
Photo de l’auteur – Sept Saints dans la Cathédrale Saint-Pol de Léon (diocèse de Quimper).
- Bibliographie
Cet article s’est inspiré :
Du livret « Sources religieuses de la Bretagne » d’Alain Rebour (éd. L’Autre Rive, Commission Culture et Foi, Diocèse de Rennes, non daté)
De l’ouvrage « Le Livre des Saints de Bretagne », de Bernard Rio (éd. Ouest-France, 2016)
De la conférence intitulée « Saints et bienheureux de Bretagne au IIème millénaire » du père Hervé Queinnec, chancelier du diocèse de Quimper et Léon, le 2 septembre 2018 à la chapelle Saint-Gildas de Carnoët.
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