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Madeleine Delbrêl, « missionnaire sans bateau » : que nous dis-tu de la mission ?

En octobre 2024, on célèbre les 120 ans de la naissance de Madeleine Delbrêl, commémore les 60 ans de sa mort, survenue le 13 octobre 1964, à Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne et fête les 100 ans de sa conversion en 1924. Assistante sociale, embauchée par la mairie communiste d’Ivry, Madeleine est souvent décrite comme une femme d’action privilégiant « la charité »* au reste.  Grande figure du catholicisme social, on oublie facilement que sans son ancrage profond dans la prière et la vie de l’Eglise, elle n’aurait pas eu le rayonnement que nous lui connaissons. Mais quel est le message de la « missionnaire sans bateau » ? Est-il toujours d’actualité pour nous, « disciples missionnaires », dans notre société d’aujourd’hui et en ce début du XXIème siècle ? Un article d’Annick Bertho, référente de l’équipe des Amis de Madeleine Delbrêl 22.

Il n’est pas facultatif d’être missionnaire, pour Madeleine Delbrêl. Cela s’inscrit dans le baptême qui engage à la suite du Christ : « Allez dans le monde entier, proclamer l’Évangile » (Marc 16). Tout d’abord, pour elle, c’est dans la simplicité de la vie ordinaire que l’on peut et doit être missionnaire : là où Dieu nous a mis, pas ailleurs ! Autour de soi, avec les gens que l’on rencontre dans la rue, dans le bus, dans l’immeuble ou en allant au travail… Ne nous payons pas de mots, il s’agit de « vivre l’Évangile, sans restriction » c’est-à-dire d’être, auprès de chaque personne que nous rencontrons, au plus près de ce que serait le Christ pour eux par l’écoute bienveillante, la compassion, le respect, la bonté, etc. Il s’agit d’« être d’autres Christ », de « Vivre le Christ ». Oui, ce sont les mots de Madeleine ! Il s’agit d’être « des agis » et non pas des « actifs » ! Des « agis » ? C’est-à-dire des personnes qui se laissent transformer par la Parole, avant d’agir.

C’est l’essentiel de sa spiritualité. « On ne peut être missionnaire sans avoir fait en soi, un accueil  franc, large, cordial à la Parole de Dieu, à l’Évangile » écrit-elle. Madeleine Delbrêl, attachait une importance capitale à la lecture priante de l’Évangile pour en vivre ! Elle pratiquait avec son équipe, chaque semaine, ce qu’elle appela « les Cercles d’Évangile », il s’agissait d’une méditation et d’un partage qu’elles faisaient pour réajuster toujours plus, leur vie à la Parole. Elle y invitait aussi les gens du voisinage et c’était bien avant le concile… Quelle pionnière !

« Vivre l’Évangile avec les pauvres et les incroyants »

Si Madeleine et ses équipières* consacraient 2h par jour à la prière (messe comprise), laïque, elle ne pouvait concevoir la Mission sans un engagement profond dans la société. «  Apprenons qu’il n’y a pas deux amours », dit-elle : « Qui étreint Dieu doit avoir la place du monde dans ses bras : qui reçoit le poids de Dieu dans son cœur, y reçoit le poids du monde ». Pour le « disciple missionnaire », il ne s’agit pas de se mettre à l’écart, de se protéger du monde mais de « s’y  enfoncer pour se hisser avec lui, vers le ciel » par la prière et l’action. Il s’agit en fait de répondre aux besoins de son temps. Madeleine, avant de partir à Ivry « vivre l’Évangile avec les pauvres et les incroyants » (c’était leur projet), avait commencé une formation d’assistante sociale, elle dira par la suite qu’aucune profession n’est incompatible pour témoigner du Christ, là où Il n’est pas connu et là, où sont des enjeux importants pour l’humanité. Est-ce que les jeunes catholiques d’aujourd’hui, qui grandissent avec la révolution numérique et l’intelligence artificielle, sauront être présents dans ces nouveaux espaces par le choix de leur profession et au nom de leur foi ?

Bien sûr, son travail la mit en lien de manière privilégiée avec la population ouvrière et toutes les misères de cette première moitié du XXème siècle, y compris la guerre ! Toute sa vie, elle resta aux aguets pour dénoncer les injustices. Des témoins l’ont écrit : elle sut signaler par son expérience l’insuffisance des pouvoirs publics qui étaient seuls à pouvoir agir sur les causes de la misère. « Elle pensait à une grande politique sociale des salaires, de la santé, des logements » écrivit après sa mort,  Jean-Charles Reverdy, son supérieur hiérarchique à la préfecture de la Seine. C’est par son travail, qu’elle rencontra les communistes installés à la mairie d’Ivry. Elle les admira pour leur générosité, elle collabora avec eux pour de nombreuses actions ponctuelles mais elle refusait les compromis, les options et les moyens qui n’étaient pas évangéliques comme la violence, par exemple. Embauchée par la mairie qui reconnaissait ses compétences avérées, elle n’accepta jamais de prendre la carte du parti ou d’entrer dans la municipalité, car leur idéologie niait Dieu ! La plus grande des misères, pour Madeleine était de vivre sans Dieu ! Ainsi, était Madeleine Delbrêl ! Notre foi chrétienne, influence-t-elle notre position aujourd’hui, par rapport aux nouvelles idées qui traversent nos sociétés : transhumanisme, wokisme, théorie du genre, etc ?

Missionnaires sans bateaux réveillés de notre torpeur
vers quelles terres irons-nous ?

Par quelles routes,
avec quel message ?
Madeleine Delbrêl

Un accueil inconditionnel et un sens de l’hospitalité

Nous ne pouvons qu’admirer son sens du dialogue : « Madeleine, prophétesse du dialogue ! » dit aujourd’hui, le Père Bernard Pitaud qui a beaucoup travaillé ses écrits. Quelles sont nos réactions par rapport à ceux qui ne pensent pas comme nous ? Notre société, notre monde politique, et même l’Église ne peuvent-ils pas prendre de la graine ! Cette posture de fermeté et de vérité par rapport à sa foi conjuguée à son engagement profond dans le monde ne pouvait que la mettre « sur une ligne de crête ». C’est la tension, l’écartèlement à vivre, pour tout chrétien qui s’engage pour le Royaume, car celui-ci ne peut advenir par les seules forces humaines !

Ce qui frappe aussi, dans la vie de Madeleine et de ses équipières, c’est son accueil inconditionnel et son sens de l’hospitalité. Elle allait vers tous, et accueillait tout le monde dans sa maison du 11, rue Raspail, à Ivry : de M. Durand, ancien directeur d’usine à Jacquot, en situation de handicap mental de l’hospice d’à côté, communiste lui-même, à qui elle s’adressait comme « à un des grands du parti » ! Peu importe, la classe sociale, riche ou pauvre, peu importe la couleur de peau et la nationalité, tous s’y croisaient, faisaient halte, disparaissaient ou revenaient. Combien d’hébergements de dépannage en attendant une solution pérenne ! Sans tomber dans l’angélisme, nous pouvons nous interroger sur nos capacités d’accueil aujourd’hui, notre attitude par rapport à l’étranger ?

Rendre l’Église « aimable et aimante »

Nous ne pouvons pas ne pas mentionner son rapport à l’Eglise.    En arrivant à Ivry, elle fut surprise par « la paroisse : petit troupeau, heureux de sa foi, indéchiffrable à ce qui n’est pas lui ». D’abord, logée dans des locaux paroissiaux, elle décida assez rapidement de déménager avec son équipe pour être davantage parmi les gens (au 11 rue Raspail) sans cesser d’être paroissienne. Elle préconisait une Église « en sortie » comme le dira beaucoup plus tard, le pape François ! « Il n’y a pas de mission sans départ, pas de mission sans franchir la frontière chrétienne où nous sommes » écrira-t-elle en 1943 dans « Missionnaires sans bateaux ». Madeleine aimait l’Eglise : « Nous sommes insérés dans la perpétuelle mission de l’Église ». Et, par cette Église, Madeleine aura à souffrir : elle traversa, entr’autres, la crise des prêtres ouvriers, respectant les départs de nombreux prêtres de ses amis, mais gardant une foi inébranlable en la vie qui peut jaillir de toute situation douloureuse. Elle travailla inlassablement à rendre l’Église « aimable et aimante ».

Son expérience de foi inédite dans un milieu défavorisé et incroyant, la facilité avec laquelle elle en parlait par ses écrits et conférences, tout cela fit qu’elle fut très consultée par des évêques dans la préparation du concile Vatican II dont elle influença les grandes prises de position comme la nécessité de l’engagement dans le monde, la place des laïcs dans l’Église et l’importance capitale du baptême qui nous met tous à égalité devant Dieu. Si Madeleine Delbrêl nous parle encore aujourd’hui, c’est qu’elle a vécu l’Évangile par un attachement profond au Christ, à l’Église à travers un engagement réel dans la société où elle vivait, prenant à bras le corps les questions de son temps. Sa spiritualité est en fait intemporelle comme l’est l’Évangile !

  • Charité : ce terme a été galvaudé à travers le temps… Selon saint Paul, il signifie « Caritas » c’est-à-dire « aimer à la manière du Christ » C’est le nom que Madeleine donna à ses équipes.
  • Les « équipières » : ce terme fut donné par Madeleine pour nommer les membres de leur « groupe ». Ne voulant pas être confondues avec des religieuses, elles n’utilisaient pas le terme « communauté » mais équipe donc équipières.

Ce texte sur la mission, « ici et maintenant », annonce un livret sur le même thème réalisé par l’équipe Madeleine Delbrêl 22, qui sort début septembre 2024, à l’adresse de tous les baptisés qui veulent réfléchir avec d’autres sur leur mission dans l’Église, aujourd’hui et ici. (paroisses, équipes diverses, services, mouvements, communautés, etc). Ce livret, avec mode d’emploi et questionnaires, permet une utilisation facile et permet des choix.

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