croix orange
Actualité

"Fiducia supplicans", réflexions et orientations des évêques des diocèses de l’Ouest

« Fiducia supplicans », réflexions et orientations des évêques des diocèses de la Province ecclésiastique de Rennes (Quimper, Rennes, Saint-Brieuc, Vannes, Angers, Laval, Le Mans, Luçon, Nantes).

logo du diocèse de Saint-Brieuc

Chers frères prêtres et diacres,

Le Dicastère pour la Doctrine de la Foi a publié la Déclaration Fiducia supplicans du 18 décembre 2023 « sur la signification pastorale des bénédictions ». Ne nous laissons pas happer par le tourbillon des réactions variées qu’elle suscite. Cette Déclaration appelle de notre part une lecture attentive de l’ensemble du texte afin de recevoir « le cœur ouvert » (n. 27) l’enseignement du pape François sur lequel elle s’appuie.

Étant donné le contexte sociétal qui est le nôtre, nous voudrions attirer votre attention sur quatre attitudes pastorales auxquelles nous invite la Déclaration :

1 – « La charité pastorale »

Si le concile Vatican II a enseigné que l’Église est « sacrement universel de salut » (Lumen gentium, n. 48), la Déclaration le rappelle (n. 20) et précise que l’Église est « le sacrement de l’amour infini de Dieu » (n. 43). Cette expression est le titre de la dernière partie de la Déclaration. Paul VI a commencé sa première encyclique – Ecclesiam suam dont nous fêterons le 60ème anniversaire – par : « L’Église du Christ Jésus a été voulue par son Fondateur comme mère aimante de tous les hommes et dispensatrice du salut. »

La Déclaration nous conduit ainsi à cette grande considération sur l’amour infini de Dieu, dont l’Église est le sacrement dans l’histoire des hommes. Elle nous invite à ne pas « perdre la charité pastorale qui doit passer par toutes nos décisions et nos attitudes » (n. 13). Le 15 octobre dernier, le pape François a rappelé le message de sainte Thérèse de Lisieux, Docteur de l’Église, qui reçut une forte compréhension du rôle central de la charité : « Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile. » (C’est la confiance, n. 39)

Saint Paul nous enseigne que cette charité est un don de l’Esprit Saint (cf. Rm 5,5). Elle est sans cesse à demander dans la prière. Elle est patiente et met sa joie dans le « petit pas [accompli] au milieu de grandes limites humaines » (n. 43). Elle se traduit dans l’accueil sans jugement et dans l’écoute bienveillante sans a priori. Elle nous conduit à apporter consolation et apaisement grâce à une parole de vérité prononcée avec humilité et douceur, de façon adaptée à la situation et au chemin de la personne. Elle se poursuit dans l’espérance par la prière pour cette personne accueillie et écoutée.

2 – « La doctrine catholique pérenne du mariage »

La Déclaration pose un discernement sans ambiguïté : « L’Église n’a pas le pouvoir de conférer sa bénédiction liturgique lorsque celle-ci peut, d’une certaine manière, offrir une forme de légitimité morale à une union qui se présente comme un mariage ou à une pratique sexuelle extra maritale. » (n. 11) Cela clarifie les débats au sein de certaines Églises locales, notamment européennes ou américaines, qui opposent ceux qui pratiquent les bénédictions liturgiques de couples de même sexe et ceux qui se l’interdisent. En effet, pour que la bénédiction liturgique soit donnée, « il faut veiller à ce qu’il ne s’agisse pas de choses, de lieux ou d’événements contraires à la loi ou à l’esprit de l’Évangile » (n. 10).

Ainsi, « sont inadmissibles les rites et les prières qui pourraient créer une confusion entre ce qui est constitutif du mariage […] et ce qui le contredit » (n. 4). La Déclaration fournit des indications de telle sorte que la confusion soit à tout prix évitée et que la compréhension du mariage, qui ne se réalise qu’entre un homme et une femme selon le dessein de Dieu, soit préservée. Dans sa réponse aux Dubia présentés par cinq Cardinaux le 10 juillet 2023, le pape François rappelle que « l’Église a une conception très claire du mariage : une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la génération d’enfants. Elle n’appelle ‘mariage’ que cette seule union. C’est pourquoi l’Église évite toute forme de rite ou de sacramental qui pourrait contredire cette conviction et donner à entendre que l’on reconnaît comme mariage ce qui n’en est pas un ».

Plus que par le passé, dans notre société sécularisée qui a perdu la compréhension de l’admirable signification de la différence sexuelle, le mariage est perçu comme une réponse à l’appel de Dieu. Il est une vocation. Soyons heureux de nous mettre avec charité au service des couples qui se préparent au mariage ou qui sont mariés. Accompagnons avec attention ceux qui peinent, ceux qui oublient ou ne savent plus prendre soin de leur amour. Il est beau de permettre à l’amour conjugal et parental de se fortifier et purifier grâce à la lumière vivante de l’Évangile, avec la grâce et la bénédiction du Christ !

3 – « Enrichir le sens des bénédictions »

La Déclaration développe une compréhension des bénédictions (2ème partie). Après s’être référée à l’Écriture sainte, elle invite à les considérer « du point de vue de la pastorale populaire » : aux bénédictions liturgiques s’ajoute alors la « bénédiction spontanée » grâce à laquelle s’exprime « la proximité de l’Église avec toute situation où l’on recherche l’aide de Dieu » (n. 38). Cette bénédiction, sans vêtement liturgique, est un « simple geste » « de grande valeur », qui relève « de la liberté et de la spontanéité » (n. 36) du ministre ordonné et qui ne peut être codifié (n. 37).

« Celui qui demande une bénédiction montre qu’il a besoin de la présence salvifique de Dieu dans son histoire, et celui qui demande une bénédiction à l’Église reconnaît l’Église comme sacrement du salut que Dieu offre. » (n. 20) « Les personnes qui viennent spontanément demander une bénédiction manifestent […] leur ouverture sincère à la transcendance, la confiance de leur cœur qui ne s’appuie pas uniquement sur leurs propres forces, leur besoin de Dieu et leur désir de sortir de l’étroitesse de ce monde refermé sur lui-même. » (n. 21)

Dans ces affirmations, nous reconnaissons bon nombre de personnes qui nous demandent la bénédiction de Dieu. Cela ne rejoint-il pas de façon évidente notre pastorale lors de pèlerinages, dans des sanctuaires et dans tant d’autres situations ?

Bien que la Déclaration distingue les bénédictions liturgiques de celles qui sont données en dehors du cadre liturgique et qui peuvent être pratiquées avec « une plus grande spontanéité et liberté », il faut souligner que le ministre ordonné donne la bénédiction de Dieu au nom du Christ. La Déclaration fait référence au Ressuscité qui vit son Ascension en bénissant (cf. Lc 24,50-51) (n. 18). Cette finale de l’Évangile selon saint Luc a une haute signification pour la foi. Le Christ ressuscité est notre nouveau et éternel Grand Prêtre. Rempli d’une charité extrême (cf. Jn 13,1), il agit en son Église et par elle, en bénissant toujours et sans cesse. Ministres ordonnés, nous sommes les médiateurs de sa sainte bénédiction. L’Église est en quelque sorte sacrement de l’éternelle bénédiction dont le Christ, par amour, bénit les êtres humains au long de leur vie avec leurs joies et leurs malheurs.

Écoutons Benoît XVI conclure son Jésus de Nazareth : « Jésus part en bénissant. En bénissant il s’en va et dans la bénédiction il demeure. Ses mains restent étendues sur ce monde. Les mains du Christ qui bénissent sont comme un toit qui nous protège. Mais elles sont en même temps un geste d’ouverture qui déchire le monde afin que le ciel pénètre en lui et puisse y devenir une présence. Dans le geste des mains qui bénissent s’exprime la relation durable de Jésus avec ses disciples, avec le monde. […] Dans la foi, nous savons que Jésus, en bénissant, tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente de la joie chrétienne. »

La Déclaration nous donne l’occasion de méditer sur la bénédiction qui descend du ciel et dont nous sommes les ministres, ainsi que sur la bénédiction qui monte vers Dieu par la louange pour ses bienfaits visibles ou invisibles. Sommes-nous des ministres ordonnés qui conduisent les fidèles à bénir Dieu, à Le louer pour sa miséricorde ? Offrons-nous suffisamment la bénédiction de Dieu ? Avons-nous conscience que nous avons la belle mission de bénir ? Faisons mémoire des occasions qui se présentent pour que nous conduisions à la louange ou que nous offrions la bénédiction de Dieu. Que ce soit avec une personne malade, une famille en deuil, un groupe de jeunes, une famille, une rencontre de fidèles… Accompagnons notre bénédiction d’une prière spontanée qui présente à Dieu les personnes qui vont être bénites. Pour nous, bénir est un acte de notre charité.

« Dans le monde où nous vivons » (n. 33) et qui est habité par l’indifférence à Dieu, il est important de conforter le « sens de Dieu ». La bénédiction en est un moyen significatif car elle « offre aux personnes un moyen d’accroître leur confiance en Dieu » (n. 33).

4 – « Bénir les couples de même sexe » ?

La 3ème partie de la Déclaration commence en affirmant que « dans l’horizon ainsi tracé, il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe » (n. 31). De fait, la Déclaration arrive à son objet : « Considérer diverses questions, formelles et informelles, sur la possibilité de bénir les couples de même sexe. » (n. 2) Alors qu’elle traite maintenant de son objet, la Déclaration n’explicite pas le raisonnement qui la fait passer des « personnes » aux « couples », terme absent des 2 premières parties. Pourtant, le mot « couple » a une signification particulière qui aurait mérité une explicitation [1].

Cependant, tout en posant la « possibilité » – qui n’est donc pas une obligation – de bénir les « couples de même sexe », la Déclaration en balise soigneusement les contours. De fait, elle nous invite à opérer un discernement.

Tout d’abord, la bénédiction n’est pas adéquate au désir de ceux qui « revendiquent la légitimité de leur propre statut » (n. 31) ou qui cherchent « une forme de légitimé morale à [leur] union » (n. 11). Elle est au contraire destinée aux personnes qui « demandent que tout ce qui est vrai, bon, humainement valable dans leur vie et dans leurs relations soit investi, guéri et élevé par la présence de l’Esprit Saint » (n. 31). Elle peut susciter en retour la louange : « Personne ne peut être exclu de cette action de grâce et chacun, même s’il vit dans des situations qui ne sont pas conformes au plan du Créateur, a des éléments positifs pour lesquels il peut louer le Seigneur. » (n. 28) Saint Paul nous l’enseigne : « Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le à votre compte. » (Phi 4,8)

Les bénédictions sont une réponse au désir de « tous ceux qui s’approchent de Dieu avec un cœur humble, en les accompagnant avec ces aides spirituelles qui permettent à tous de comprendre et de réaliser pleinement la volonté de Dieu dans leur vie » (n. 32) En effet, « chercher une bénédiction dans l’Église, c’est admettre que la vie de l’Église jaillit du sein de la miséricorde de Dieu et nous aide à avancer, à mieux vivre, à répondre à la volonté du Seigneur » (n. 20). C’est ainsi que, « dans la courte prière qui peut précéder cette bénédiction spontanée, le ministre ordonné pourrait demander […] la lumière et la force de Dieu pour pouvoir accomplir pleinement sa volonté » (n. 38).

La Déclaration indique ainsi des critères de discernement : l’humilité et le désir d’accomplir la volonté de Dieu, c’est-à-dire de correspondre à son dessein de sagesse. Cela est redit à propos des bénédictions liturgiques : « il est nécessaire que ce qui est béni puisse correspondre aux desseins de Dieu inscrits dans la Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur. » (n. 11) Et à propos des bénédictions « spontanées » : « le ministre ordonné s’associe aux prières des personnes qui, bien que vivant une union qui ne peut en aucun cas être comparée au mariage, désirent se confier au Seigneur et à sa miséricorde, invoquer son aide et être guidées vers une plus grande compréhension de son dessein d’amour et de vérité. » (n. 30)

Dans notre société où le mariage a été banalisé en devenant une notion de droit civil qui ignore la spécificité fondatrice de la différence sexuelle, nous avons la mission d’affirmer de façon prophétique, « avec douceur et respect » (1 P 3,16), la grande beauté du dessein de Dieu qui créa l’être humain, homme et femme, et que le Christ a rappelé. Dans ce contexte, il est donc juste, comme le souligne la Déclaration, de ne pas contribuer à créer de la « confusion » (n. 4, 5, 30, 31, 39) ou du « scandale » (n. 30, 39). C’est pourquoi, il est opportun de bénir de façon spontanée, individuellement, chacune des deux personnes formant un couple, quelle que soit leur orientation sexuelle, qui demandent la bénédiction de Dieu avec humilité et dans le désir de se conformer de plus en plus à sa sainte volonté.

Conclusion : à l’écoute de l’Esprit Saint.

Qu’il est beau d’être ministre au nom du Christ et de sa charité des bénédictions de Dieu pour ses enfants bien-aimés ! Que chacun d’entre eux, béni par l’Église, puisse « ouvrir sa vie à Dieu, lui demander son aide pour mieux vivre, et invoquer aussi l’Esprit Saint pour que les valeurs de l’Évangile soient vécues avec une plus grande fidélité » (n. 40). « La grâce de Dieu agit en effet dans la vie de ceux qui ne se prétendent pas justes mais se reconnaissent humblement pécheurs comme tout le monde. Elle est capable de tout orienter selon les desseins mystérieux et imprévisibles de Dieu. » (n. 32)

Évêques, prêtres et diacres, osons demander pour nous-mêmes la bénédiction de Dieu afin de mieux entendre les appels de l’Esprit dans nos vies. En priant et en donnant la bénédiction, aidons chaque personne à discerner les appels que l’Esprit fait entendre dans sa propre histoire.

Tous ses appels convergent vers le grand appel à la sainteté : « La volonté de Dieu, c’est que vous viviez dans la sainteté. » (1 Th 4,3) Les Béatitudes de l’Évangile expriment cette sainteté. Celle-ci ne peut se réaliser en une vie qui se situe délibérément en dehors du dessein de Dieu. C’est plutôt en y consentant librement et en avançant dans la confiance en Dieu et en sa grâce sur le rude chemin de la conversion que la joie éclot (cf. Jn 16,22). L’Église, « comme une mère aimante », en est la servante pour tous.

Nous terminons avec ce texte du pape François : « Je voudrais que la Vierge Marie couronne ces réflexions, car elle a vécu comme personne les béatitudes de Jésus. […] Elle est la sainte parmi les saints, la plus bénie, celle qui nous montre le chemin de la sainteté et qui nous accompagne. Elle n’accepte pas que nous restions à terre et parfois elle nous porte dans ses bras sans nous juger. Parler avec elle nous console, nous libère et nous sanctifie. La Mère n’a pas besoin de beaucoup de paroles, elle n’a pas besoin que nous fassions trop d’efforts pour lui expliquer ce qui nous arrive. Il suffit de chuchoter encore et encore : “Je vous salue Marie…’’. » (Gaudete et exsultate, n. 176)

Le 1er janvier 2024, Solennité de sainte Marie, Mère de Dieu

  • + Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes
  • + Raymond Centène, évêque de Vannes
  • + Emmanuel Delmas, évêque d’Angers
  • + Laurent Dognin, évêque de Quimper
  • + François Jacolin, évêque de Luçon
  • + Denis Moutel, évêque de Saint-Brieuc
  • + Laurent Percerou, évêque de Nantes
  • + Jean-Pierre Vuillemin, évêque du Mans
  • + Jean Bondu, évêque auxiliaire de Rennes
  • + Frédéric Foucher, administrateur diocésain de Laval

[1] Voir par exemple François, Exhortation Amoris laetitia, n. 10-12 ; François de Muizon, Homme et femme, l’altérité fondatrice, Cerf, 2008.

croix blanche

Les dernières actus